CHAPITRE 15

« Pour en faire l’un des nôtres… ou pour le tuer. »

J’eus l’impression de recevoir un coup de massue.

Je me dis que Tom n’était qu’un Humain-Contrôleur, une larve gluante, répugnante, venue d’une autre planète, qui s’était introduite dans son cerveau et le dominait. Quand il me parlait, il n’était même plus Tom, pas vraiment. Il était un Yirk.

Mon frère : un Yirk. Chapman : un Yirk.

Ils étaient partout. Partout ! Comment les arrêter ? Comment pourrions-nous seulement tenter de les arrêter ? S’ils étaient capables de retourner mon propre frère contre moi, s’ils étaient capables d’asservir Tom, comment pourrais-je les arrêter ? C’était impossible. Marco avait raison.

Je crois que si, à ce moment-là, j’avais été complètement humain, le désespoir m’aurait submergé. Mais les chiens ignorent le désespoir. Ce fut la nature simple, heureuse, confiante de Homer qui me sauva. Pendant un instant, je me laissai aller à devenir mentalement un chien. Je ne voulais pas réfléchir. Je ne voulais pas être un humain. Pendant un moment, j’errai dans les dunes en flairant des odeurs.

Mais je savais que j’avais une tâche à accomplir. Au bout de quelque temps, je renonçai à mon bonheur simple de chien et m’obligeai à réintégrer la pénible réalité.

J’écoutai encore un peu les conversations de la réunion, mais j’étais tellement bouleversé que je ne fis pas vraiment attention à ce qui se disait, me bornant à entendre répéter inlassablement dans ma tête : « Pour en faire l’un des nôtres… ou pour le tuer. »

La seule autre chose qui attira mon attention fut une conversation entre Tom et un autre assistant – un autre Contrôleur – sur la fréquence des visites au Bassin yirk. Tom en venait et se sentait en pleine forme. Il y retournerait lundi soir. C’était la larve cachée dans sa tête qui s’exprimait. Le Yirk qui contrôlait Tom avait besoin de retourner au Bassin yirk.

A ce moment-là, j’entendis une nouvelle voix : Cassie !

Je me dépêchai de contourner la dune pour me rapprocher, mais j’entendais parfaitement la voix de Cassie et une autre que je mis un certain temps à reconnaître : celle de l’agent de police, celui qui était venu le matin même à la ferme.

— Hé, qu’est-ce que vous fichez là ? demanda-t-il.

— Je cherche des coquillages, tout simplement, répondit Cassie.

— Cet endroit est réservé aux membres actifs, expliqua le policier d’un ton sévère. Il est confidentiel. Vous comprenez ?

— Oui, monsieur l’agent, répondit Cassie de sa voix la plus humble.

Je trouvai enfin un endroit d’où je pouvais les voir, mais je vous rappelle que les yeux d’un chien ne sont pas vraiment perçants. Les choses apparaissent comme sur une vieille télé : toutes brouillées, avec des couleurs délavées.

Le policier dévisageait Cassie qui lui tenait tête bravement mais, à l’odeur, je sentis qu’elle avait peur.

— Ça va, vous pouvez partir, finit par déclarer le policier. Mais je vous tiens à l’œil. Retournez avec les autres.

Cassie fit demi-tour et partit sans tarder. Je m’empressai de la rejoindre. Voir un chien surgir subitement de nulle part dut l’effrayer, car elle sursauta.

— Ah, c’est toi, dit-elle.

< Oui. Tu l’as échappé belle. Qu’est-ce que tu fichais là ? >

Elle haussa les épaules.

— Je voulais simplement m’assurer que ça se passait bien pour toi.

< Je courais moins de risques que toi >, fis-je observer.

Nous avons regagné l’endroit où nous attendaient Rachel, Marco et Tobias. Je n’étais pas pressé de retrouver mon corps humain, car mon cerveau de chien me permettait d’oublier facilement pourquoi mon cerveau humain était si triste. Si on me lançait un bâton dans les vagues, je courrais après. L’eau me rendrait heureux. Courir me rendrait heureux.

Maintenant, je comprenais pourquoi Tobias hésitait à quitter son corps de faucon. Devenir un animal pouvait être un agréable moyen d’échapper à tous ses soucis…

Je me décidai à démorphoser. Tandis que je reprenais mon aspect normal, Cassie et Rachel détournèrent les yeux et regardèrent la mer.

Lorsque je fus redevenu complètement moi-même, je dis à Marco :

— Tu avais raison. Tom est un Contrôleur.

Marco ne parut pas satisfait d’avoir raison.

Je leur racontai que Tom avait déclaré à Chapman qu’il m’avait fait venir à la réunion dans l’intention soit de m’utiliser, soit de me tuer.

— Minute, dit Rachel. Chapman est aussi dans le coup ? Notre Chapman ? Chapman, le directeur du collège ?

— J’ai l’impression qu’il est une sorte de chef, expliquai-je. C’est lui qui se trouvait l’autre soir sur le chantier de construction. C’est lui qui a ordonné aux Hork-Bajirs de conserver seulement la tête.

— Ça, c’est du Chapman tout craché, ricana Marco.

— Je propose qu’on s’en aille au plus vite, déclara Tobias.

— Inutile, tout va bien, fis-je. Chapman a répondu à Tom qu’il ne fallait tuer personne pendant une réunion du Partage. Ils ne veulent pas éveiller les soupçons. Il a également précisé qu’ils ne pouvaient pas se permettre de supprimer tous les jeunes susceptibles de s’être trouvés dans le chantier de construction. Il leur fallait une preuve.

— Ce scrupule les honore, remarqua Rachel.

— Pas vraiment. Chapman a seulement dit que, pendant quelque temps, ils devaient encore éviter d’attirer l’attention. Si un certain nombre de jeunes disparaissent, les gens le remarqueront sûrement. Il a dit qu’il fallait attendre car les enfants sont incapables de tenir longtemps leur langue. Le jour où ils se vanteront d’avoir vu des extraterrestres, les Contrôleurs les trouveront et les supprimeront.

— Seulement nous, on ne parlera pas de ce qu’on a vu, déclara Rachel.

— Très juste, approuva Marco. On ne dit rien. On oublie tout. On mène notre vie habituelle et c’est tout.

— Et on laisse Tom aux mains des Yirks ? remarquai-je. Pas question. Jamais de la vie. C’est mon frère, et je vais le sauver.

— Comment comptes-tu t'y prendre ? demanda Marco d’un ton sarcastique. Si j’ai bien compris, tu t’attaques à Chapman, aux policiers, à une bande d’Hork-Bajirs et de Taxxons et, pire que tout, à ce monstre de Vysserk Trois. Ton seul moyen de les combattre, c’est de te changer en chien et de leur mordre les chevilles. C’est comme si tu jouais au jeu vidéo le plus insoluble qu’on ait jamais imaginé.

Je souris. Ou, tout au moins, je montrai mes dents.

— C’est vrai, c’est bien comme ça que ça se présente. Mais je suis plutôt bon aux jeux vidéo.

— Et il ne se battra pas tout seul, ajouta Rachel. Je suis avec lui.

— Moi aussi, dit Tobias.

— Et moi également, continua Cassie.

— Super, fit Marco. Vous voilà brusquement devenus Quatre Super-héros. Seulement, ce n’est pas une BD. C’est la réalité.

Nous avons entendu marcher dans les dunes. La réunion des membres actifs était terminée.

— Silence, tout le monde, chuchotai-je. On laisse tomber… pour l’instant.

J’avais dit cela pour rassurer Marco, car je n’avais nullement l’intention de laisser tomber. J’entraînai Cassie à l’écart.

— Écoute, Cassie, j’ai besoin d’une animorphe qui me permette de surveiller Chapman sans qu’il s’en doute. Qu’est-ce que tu as à la ferme ?

Cassie réfléchit un instant.

— Voyons voir… On a un tas d’oiseaux blessés, bien entendu. On a le loup à la patte cassée. On a le chat sauvage à l’œil crevé.

Je la laissai m’énumérer la liste de tous les animaux éclopés hospitalisés au Centre de sauvegarde de la vie sauvage. Brusquement, elle claqua des doigts.

— Je me demande… A ton avis, quel est le plus petit animal susceptible d’être morphosé ?

Je haussai les épaules. Je n’en savais rien.

— J’ai peut-être une idée, dit-elle. C’est un animal qui vit à la clinique sans faire partie des patients. Un résident, en quelque sorte. Il est petit, il sait grimper aux murs et il est très rapide, au cas où tu serais obligé de fuir. Et je suppose qu’il a l’ouïe fine et une bonne vue.

Voilà comment ce même soir-là, un peu plus tard, je me retrouvai à quatre pattes dans la grange de Cassie, rampant sous les cages et me faufilant entre les pattes d’une paire de chevreuils affolés à la recherche d’un lézard.

 

L'invasion
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